L'instance anthropologique
(Proposition de texte, provisoire)
L'instance anthropologique : éducation et sciences
L'instance anthropologique
Mais c’est de l’homme qu’il s’agit !
Et de l’homme lui-même quand donc sera-t-il question ?
– Quelqu’un au monde élèvera-t-il la voix ?
La pde est une nécessité. Elle est consubstantielle au projet éducatif. Pour cette simple raison, elle ne peut se réduire à quelque particularisme académique et ne peut exister qu'en relation transdisciplinaire. Ni spécialité, ni supériorité, elle gagnerait à « avoir-lieu », c'est à dire à former repère de questionnement. Ce qui ne saurait être l'apanage de quelques clercs mais une « préoccupation partagée ». Si un lieu identifié lui serait utile, ne fût-ce que pour maintenir le message d'une nécessité, elle gagnera bien davantage à irriguer les disciplines relatives à l'éducation. Mais enfin, lesquelles ? A des titres divers et sur des niveaux distincts, toutes sont requises.
Le paradigme crispé
La philosophie de l’éducation reste décidément un questionnement. A ce seul titre, elle pourra se donner comme tâche d'interroger le rapport éducationnel à la science. Hâtivement, tout pourtant semble avoir été dit, dans un extraordinaire fatras de références et de considérations relatives Ce qui est déraisonnable. A l'inverse, elle se renseignera à ce qui est de nature à éclairer l'action éducationnelle.
Pour tout ce qui touche le questionnement en-actuel, soucieux de l'historicité et des « nouvelles donnes », impossible en effet de ne pas tenir compte de l'état de l'art.
Il est de tradition chez les pédagogistes de limiter la question de la référence scientifique à tout ce qui touche au comportemental, pourvu qu'il s'ordonne aux paramètres de l'ancienne psychopédagogie, toilettée et répartie au goût du jour. Et comme si cela ne suffisait pas, on ajoutera une once de cognitivisme. L'attachement des milieux dits « pédagogiques » aux tendances « néopositives » s'est largement exprimé à l'occasion de l'avancée des « neurosciences » sur le terrain des politiques scolaires.
Cette réduction, à forte densité idéologique – relevant d'une épistémè ignorante d'autres perspectives scientifiques et critiques – condamne au simplisme. On ira même jusqu'à imaginer des relations transitives entre fonctionnement du cerveau et apprentissage mécanique de la lecture...
Péripéties qui relèvent d'une offensive plus générale, et durable. C'est là ignorer ce qui fait l'homme dans son ensemble : héritage de l'intellectualisme, qui s'entend à séparer les ordres, et non à relier1. Il est en effet étonnant que la littérature dite « pédagogique » n'entreprend à aucun moment la conjonction entre les exigences du sujet et l' « unité des savoirs ».
Or, l'interdisciplinarité des « sciences de l’éducation » se limite à une partition traditionnelle des domaines d'étude. A la fois carcan et dispersion, cette géographie des disciplines tend à ignorer l'essentiel, qui est de comprendre ce qui nous constitue.
Délégations problématiques
Au changement de paradigme global répond en effet une extraordinaire fixité épistémique. Or, c'est précisément en raison scientifiquement des sauts qualitatifs que l'effort éducatif peut tenir suffisamment compte de son temps, des mutations, des métamorphoses du sujet.
La philosophie de l'éducation aurait donc quelque raison d'être par les interrogations qu'elle peut inlassablement activer. Mais elle n'est pas dépositaire des éclairages, ni des savoirs, correspondants. C'est pourquoi elle s'attache à renvoyer l'examen des questions qu'elle pose aux instances adéquates.
S'agissant des plans fondamentaux de ce qui nous constitue : langage, technique, société, valeurs - il convient en effet de renvoyer à une science suffisante : voilà ce qui établit notre manière d'être au monde, et qui devrait être une priorité absolue pour toute pensée de l’éducation.
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Un autre ordre de considérations touche la possession du monde : c'est là le domaine des sciences. Mais comment s'y retrouver ? Sciences dures et sciences molles, sciences de la nature et sciences de l'humain,,, etc ?
Malheureusement, le domaine classificatoire en vigueur est extrêmement troublé par des mélanges et approximations d'une autre époque.
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Pour simplifier (par simplisme commode) on distinguera les domaines :celui des sciences humaines, celui des sciences de la nature. L'homme n'est pas indifférent à son univers. Il lui importe de le connaître, d'en saisir l'importance et d'en mener l'interprétation. Pour comprendre « ce qui fait unité »
La Pde ne peut décider à la place des sciences humaines, encore moins s'y superposer. Bien au contraire, elle se limite à l'interrogation, à l'étonnement, et n’entreprend aucun traité : elle renvoie alors aux instances d'intelligibilité liées à l'examen scientifique.
L'éducation rencontre ce qui nous constitue : ce qui fait notre humanité. Ce qui est sous-jacent à nos comportements, et qui peut se développer dans des processus (« procès »). Qu'il s'agisse de langage, de société, de valeurs et de technique, la Pde requiert des éclairages et des réponses qui tiennent des sciences de l'homme, dont elle réquisitionne les concepts, qu'elle ne saurait produire elle-même.
A ce jour, le seul déploiement en ce sens est celui de la théorie dite « de la médiation » (Tdm), rigoureusement fondée sur l'observation et l'interprétation cliniques. Fondée par Jean Gagnepain et élaborée depuis un demi-siècle par l’École de Rennes, « l'anthropologie médiationniste » procède à une diffraction de la rationalité en quatre plans relevant de la Glossologie (le Signe), de l'Ergologie (l’outil), de la sa Sociologie (la Personne), de l’axiologie la Norme). Cette « tetralogique » revisite radicalement la carte des classifications antérieures. Inversement, la théorie interpelle la doxa philosophique elle-même, qui trouve là une nouvelle occasion comme elle l'a fait au cours des siècles, de se dépouiller des sciences devenues autonomes, comme de se dégager des dérives idéologiques.
Notation : mon attention était attirée naguère par la similitude entre la partition remarquable avancée dans le « rapport Delors » (1999) 2 : Les quatre piliers de l’éducation : Apprendre à connaître Apprendre à faire Apprendre à vivre ensemble, apprendre à vivre avec les autres Apprendre à être -
- et la tétra-diffraction de la théorie dite « de la médiation » initiée par Jean Gagnepain, fondateur de l’École de Rennes.
Il n'y a là qu'analogie, surprise. Et pourtant...
Cette coïncidence enfin est troublante. Dans sa quasi-évidence même. D'un côté, une projection philosophico-politique d'ampleur, de l'autre, une détermination scientifique exigeante et rigoureuse. Et, l'un dans l'autre, la recherche de clarté. Ce qui simple est génial : à l'opposé des circonvolutions une nécessité d'aller à l'essentiel.
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Si la donc Pde s'interroge sur le « sujet de l’éducation » elle ne peut désormais le faire en ignorant ce qui sous-tend son « être au monde », ce par quoi « il est agi ». Impossible dès lors de traiter de «mathématiques, de grammaire, de communication, d'institution, de transmission, d'apprentissages, d'éthique, etc. sans se renseigner aux catégories et aux résultats des sciences humaines. En ne s'abandonnant pas aveuglément au préjugé de la partition académique en usage.
Le procès éducationnel rencontre les processus anthropologiques à l’œuvre dans ce que nous sommes. Le procès éducationnel qui nous construit rencontre les processus anthropologiques qui nous constituent. Ce qui fait que par l'éducation nous "devenons" s'attache à ce qui humainement nous fonde. La formation se situe, au sens redoublé strict, à la croisée de ces deux niveaux.
Autrement dit, la "concordance éducative" se définit à l'articulation de ce qui
- anthropologiquement nous qualifie ;
et ce qui
- mésologiquement nous forme
Pour reverser ces exigences à la question pédagogique, il s'agit donc moins de quelque « idée de l'homme » que d'une reconnaissance (et re-connaissance : à frais nouveaux) de ce qui anthropologiquement le fonde.
Relation mésologique
Touchant les « sciences du milieu », qui inspirent des enseignements spécifiques, elles concernent tout autant la Pde. Si l'histoire, l'informatique, l'économie, ou encore la géographie, sont directement du ressort de la Tdm, quid de la physique, de l’astrophysique, de la chimie, des « sciences naturelles », de l' « écologie? » Le détour épistémologique pourrait bien se faire via une conscience réflexive de ce qu'est l'homme dans son environnement. De la même façon que la Tdm habilite le « fonctionnement » humain, le rétablissement d'une écologie somme toute « externe » sur une mésologie intégrée permettra le reliement de ce que nous avions cru séparé. En éducation, c'est toujours d'une holistique qu'il s'agit.
Impossible « éducation nouvelle »
Ces considérations plaident à l'évidence pour une action éducationnelle éclairée et cohérente. Ce qui supposerait de nouvelles « Lumières », aujourd'hui improbables : elles seraient à l'opposé des desseins du jour. A commencer par habiliter le sujet pour ce qu'il est, non pour ce qu'il est rapporté, ou asservi, à des causes qui lui sont étrangères. On le comprend, en philosophie de l'action éducative (Pdae), il s'agit de savoir si nous sommes capables d'accompagner le sujet pour ce qu'il est, et non pour ce que nous en rêvons ou souhaitons en faire, à notre main. Il y a dans ce simple réquisit une « exigence de conscience » que nous ne devons pas abandonner.
1 Une pensée transdisciplinaire serait ici sans doute utile comme signalement lyrique, mais ne saurait préjuger de l'action réelle. Or, tout se joue dans cette articulation réelle à l'inverse de la dissociation – discours habile vs action votive ou rêvée, savamment entretenue. Sans reversement à l'action (au minimum, et en tous cas, dialectique), nous pataugeons dans l'absurde ou le paradoxe hypocrite.
2 - L’Éducation: un trésor est caché dedans; rapport à l'UNESCO de la Commission internationale sur l'éducation pour le vingt et unième siècle. (1999) - Chapitre 4 : Les quatre piliers de l’éducation : Apprendre à connaître Apprendre à faire Apprendre à vivre ensemble, apprendre à vivre avec les autres Apprendre à être.